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Rapprocher et anticiper l’évolution de l’offre et la demande de compétences sur le marché de l’emploi français
Par Simon Bouchez, CEO de Multiposting
« Data scientist », « développeur logiciel SaaS », « technicien réseau Cloud Computing »… le XXIème siècle voit apparaître à une vitesse phénoménale de nouveaux métiers. Ce phénomène est la conséquence des récentes révolutions technologiques bien sûr, ainsi que de la mondialisation qui décloisonne les marchés ; mais sa vélocité prend de court les entreprises et les formateurs : tous deux sont contraints de s’adapter rapidement à des exigences nouvelles et d’anticiper leurs évolutions.
Contraints, parce que le tableau n’est pas rose : tandis que le chômage de masse culmine en France – 10,5% en août 2014 (Eurostat, 2014) – le chômage des jeunes a atteint un plus haut historique depuis 20 ans – 26,2% au premier trimestre 2013 (Ibid.), confirmant une tendance dépassant les 15% depuis les années 1980, et renforçant l’idée d’inadéquation entre les compétences enseignées et le monde du travail.
Une mutation sans précédent du marché de l’emploi
Témoins de la mutation du marché de l’emploi, les formes de travail évoluent : les offres de CDD surpassent celles de CDI, représentant plus 55% des offres d’emploi diffusées sur le web en 2013 (Multiposting, 2014)… et 82% des embauches (DARES, 2013) ! Si la part des salariés en CDI reste stable, celle des CDD courts explose (Conseil d’orientation pour l’emploi, 2014), signe que la flexibilité devient particulièrement clé pour les entreprises et leurs employés.
De nouveaux métiers apparaissent aussi : en quelques années seulement des professions jusqu’alors inconnues – développeur mobile, architecte Big Data, spécialiste en Cloud Computing – ont vu leur attractivité exploser. L’étude sur les compétences numériques dans le secteur de l’Industrie (Multiposting, 2014) montre ainsi que la recherche de développeurs mobiles a fait un bond de +800% entre 2012 et 2014 ! L’apparition et évolution rapide de ces nouveaux métiers mobilise évidemment la capacité de réactivité et d’adaptation des entreprises comme des programmes de formation.
Au-delà de ces nouvelles formes d’emploi et de ces nouveaux métiers, ce sont surtout de nouvelles compétences que recherchent les entreprises : innovation, relation client et digital font partie des aptitudes techniques les plus attendues (EY, 2014). Pour elles, ce manque d’adaptabilité est patent en interne – 70% des dirigeants français déclarent y manquer de compétences pour développer leur entreprise – comme en externe – 63% ont du mal à trouver les compétences dont leur entreprise a besoin (Ibid.).
Dans la course à la compétitivité, la capacité des entreprises et formateurs à renouveler les compétences internes de leurs collaborateurs semble clé. La capacité des Ecoles & Universités à former leurs étudiants au plus près des enjeux du marché du travail de demain paraît l’être tout autant.
Les formations contraintes de suivre le rythme
Aux résultats de l’édition 2013 des tests PISA, cherchant à « évaluer la capacité des jeunes à utiliser leurs connaissances et compétences pour relever les défis du monde réel », la France se classe au 25e rang mondial, en retrait de deux places par rapport à l’édition précédente (OCDE, 2013). Lorsqu’on sait que 60% des annonces d’emploi en ligne diffusées par les recruteurs en 2013 ont reçu moins de 10 CV (Multiposting, 2013), on comprend le manque d’adéquation actuel entre les compétences enseignées et la réalité du marché de l’emploi.
De surcroît, alors que les offres de CDD s’accroissent, le taux de transition des jeunes français d’un emploi temporaire à une nouvelle fonction est faible. En 2010, 5,6% des Français entre 20 et 24 ans se sont retrouvés au chômage à la suite d’un CDD. A titre de comparaison, ce taux est de 1,4% en Grande-Bretagne, 1,3% en Allemagne et 0,4% aux Pays-Bas (Ibid.). L’accompagnement de la transition par la formation ne semble donc pas encore totalement adapté aux exigences de réactivité et de malléabilité de notre nouveau monde du travail.
Mais la transformation de notre économie et du marché de l’emploi ne représente bien heureusement pas qu’une contrainte. Elle offre l’opportunité aux entreprises et formateurs d’inventer de nouveaux modèles, adaptés au XXIème siècle, en profitant des avancées technologiques. Le phénomène des MOOC – massive open online course ou « formation en ligne ouverte à tous » –est un bel exemple de cette adaptabilité. Il a d’ores et déjà été embrassé par certaines Ecoles et Universités françaises et le gouvernement via la création de « France Université Numérique » en octobre 2013.
Des opportunités existent pour former les étudiants et employés au plus près des évolutions du marché du travail, notamment sur le plan technologique. Quid du Big Data, ou de la possibilité de traiter de grands volumes de données pour favoriser ce rapprochement offre-demande de compétences sur le marché de l’emploi ?
Le remède sera-t-il technologique ?
Depuis la fin des années 1990, le marché du recrutement en ligne connaît un fort développement et les données sur l’emploi et les compétences sont en augmentation constante. Les sites d’emploi en ligne supplantent les supports traditionnels : plus de 20 millions d’offres y ont été diffusées en France depuis 2008 (Multiposting, 2014) ; en 2013, 80% des annonces de cadre ont été diffusées en ligne selon l’APEC (APEC, 2014). On dénombre également plusieurs centaines de millions de profils (candidats, salariés) sur les réseaux sociaux professionnels, personnels, les CVthèques et le web au sens large (blogs, sites personnels).
Parallèlement, les moyens technologiques pour exploiter ces bases de données sont de plus en plus affutés : la technologie est en mesure de traiter et exploiter la masse de données et la révolution du Big Data est en marche. Alors que l’humanité a produit près de 1,3 milliard de Go de données numériques en 2010, soit plus de la totalité des informations produits par l’Homme entre la préhistoire et 2003 (IBM, 2011), ces données sont appelées à croître de plus de 40% entre 2011 et 2020 (McKinsey, 2011).
Leur exploitation représente un enjeu stratégique pour les entreprises et les formateurs, et le champ des possibles est très large : demain, un recruteur pourra mieux cibler les profils qu’il recherche, un formateur ou une école identifier les compétences les plus porteuses pour adapter ses programmes, un décideur public repérer les pénuries de personnes qualifiées dans certains secteurs pour prendre les mesures adaptées. En bref, la valorisation des données Emploi peut avoir un vrai impact sur le rapprochement entre l’offre et la demande sur le marché de l’emploi. Les travaux de Wanted Analytics, l’EMSI, Adzuna ou Multiposting (Smartsearch) sont autant de premiers exemples concrets très prometteurs sur le sujet. Et ça n’est que le début.
Si les entreprises proposent de nouvelles formes d’emploi, de nouveaux métiers, ce sont surtout de nouvelles compétences dont elles ont besoin pour s’adapter à la vitesse d’évolution sans précédent des exigences du marché du travail. Le taux chômage élevé des jeunes, leur faible transition vers un nouvel emploi depuis un contrat temporaire sont autant de révélateurs d’un manque d’adéquation entre les compétences enseignées et celles du marché du travail, même si des initiatives encourageantes existent pour combler cette carence à travers les MOOC notamment. Pour aller plus loin, il semble que la technologie ait un rôle à jouer. Les données sur l’Emploi sont croissantes et la capacité de les exploiter, à travers le Big Data, est nouvelle. La valorisation de ces données représente une vraie opportunité pour participer au rapprochement de l’offre et de la demande de compétences sur le marché de l’emploi. Cette approche doit s’inscrire dans une réflexion plus globale, bien sûr, car la fluidification du marché du travail ne représente qu’une pierre de la reconstruction qui serait à entreprendre. Qu’une pierre, certes, mais peut-être la première à poser.
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